« Marteau de Minuit » Américain : Un coup de Thor manqué, Téhéran reste debout et Washington regarde vers la Chine

Malgré la rhétorique de destruction totale, les récentes frappes américaines n’auraient fait que retarder le programme nucléaire iranien, soulevant la question d’une erreur d’appréciation stratégique alors que les États-Unis cherchent à pivoter vers la compétition avec Pékin.

Paris, le 30 juin 2025 – La foudre s’est abattue sur l’Iran dans la nuit du 21 juin 2025. Baptisée « Opération Marteau de minuit », cette série de frappes américaines sur des installations nucléaires et des symboles du régime iranien a été présentée par le président Donald Trump comme un coup dévastateur, promettant d’avoir « totalement détruit » les capacités nucléaires de Téhéran. L’image du dieu nordique Thor brandissant Mjolnir pour terrasser ses ennemis flottait dans l’air. Pourtant, une semaine plus tard, la réalité se dessine avec plus de nuances : loin d’une annihilation, le programme iranien semble avoir été que retardé, et le régime n’est pas à genoux. Cette opération, si elle n’a pas été le coup de grâce escompté, révèle surtout les complexités des objectifs américains au Moyen-Orient, alors que l’œil de Washington est désormais tourné vers l’Extrême-Orient.

Le coup de marteau : entre rhétorique et réalité

Des bombes antibunkers GBU-57 ont visé Fordo et Natanz, des sites clés de l’enrichissement iranien. Des dégâts importants sont indéniables, reconnus par le Guide Suprême Ali Khamenei lui-même, bien qu’il ait minimisé l’ampleur et la persistance de l’impact. Tandis que le secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, parlait de capacités « décimées et anéanties », des rapports de renseignement, cités par CNN, suggèrent un retard de seulement « quelques mois », voire « deux à cinq ans » selon d’autres estimations. Loin d’un coup fatal qui mettrait fin au régime ou à ses ambitions nucléaires, le « Marteau de minuit » apparaît davantage comme une opération punitive visant à ralentir et à dissuader, sans garantie de succès à long terme.

De l’allié stratégique à l’ennemi juré : une histoire de bascule

Pour comprendre l’acuité de cette confrontation, il faut remonter le fil des relations irano-américaines et irano-israéliennes. Avant la Révolution islamique de 1979, l’Iran du Shah était un allié discret mais stratégique d’Israël, dans une « alliance de la périphérie » visant à contenir le nationalisme arabe. Tout a changé avec l’arrivée au pouvoir de l’Ayatollah Khomeini. Le nouveau régime théocratique a fait de la destruction d’Israël et de la lutte contre l' »impérialisme américain » des piliers de sa doctrine. Depuis lors, la confrontation est quasi constante, l’Iran soutenant des groupes comme le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza pour déstabiliser Israël, tandis que l’Occident voit d’un œil inquiet l’avancement de son programme nucléaire.

Le JCPOA : un accord mort-né sous pression

C’est dans ce contexte que le Plan d’action global commun (JCPOA), signé en 2015 entre l’Iran et le P5+1, a vu le jour. Cet accord limitait drastiquement l’enrichissement d’uranium iranien et soumettait Téhéran à des inspections sans précédent de l’AIEA, en échange d’une levée progressive des sanctions. Mais le 8 mai 2018, le président Donald Trump a retiré unilatéralement les États-Unis de l’accord, le jugeant insuffisant pour contenir le programme de missiles balistiques et les activités déstabilisatrices de l’Iran.

Cette décision a été fortement influencée par la pression incessante d’Israël. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, principal opposant au JCPOA, n’a eu de cesse de dénoncer l’accord comme une « erreur historique », présentant des « preuves » censées démontrer que l’Iran mentait sur ses intentions. La stratégie américaine de « pression maximale » sur l’Iran, visant à l’asphyxier économiquement pour le contraindre à de plus grandes concessions, s’est alors alignée sur les préoccupations sécuritaires d’Israël, faisant de Jérusalem un catalyseur majeur du retrait américain.

Sabotage ou bluff ? La fin des négociations et la préparation des frappes

La question du « sabotage » des pourparlers pour un « deuxième accord » est particulièrement brûlante. Le timing de certaines frappes israéliennes antérieures sur l’Iran, ou l’assassinat de hauts dignitaires iraniens, survenus parfois juste avant des fenêtres de négociation, a alimenté les théories d’une volonté délibérée d’Israël de torpiller tout arrangement diplomatique qu’il jugeait insuffisant. L’opposition israélienne à l’enrichissement d’uranium iranien, même à faible niveau, est absolue, et les actions militaires peuvent être perçues comme un moyen de maintenir la pression lorsque la diplomatie menace de la relâcher.

  • Quant à la récente frappe américaine elle-même, l’opération « Marteau de minuit » n’est pas sortie de nulle part. Les États-Unis maintiennent depuis des années des plans d’urgence pour divers scénarios iraniens. Le contexte de tensions croissantes, combiné aux renseignements sur l’avancement du programme nucléaire iranien (l’uranium enrichi à 83,7% dans certains cas) et la pression constante de ses alliés régionaux, a pu rendre l’action militaire plus pressante pour l’administration Trump. Loin d’une main forcée, il s’agit plus probablement d’une décision politique, activant une option militaire préparée de longue date, après avoir estimé que la diplomatie n’était plus suffisante.

Téhéran indomptable : les options du régime

Malgré les « dégâts importants » et la suspension de la coopération avec l’AIEA, le régime iranien n’est ni anéanti ni incapable de riposter. Ses options restent multiples :

  1. Relancer en secret le programme nucléaire : Convaincu qu’une capacité nucléaire est la seule garantie de sa sécurité, Téhéran pourrait tenter d’accélérer son programme clandestinement, quitte à se retirer du TNP.
  2. Intensifier la riposte asymétrique : Plutôt qu’une confrontation directe, l’Iran activera ses proxys (Hezbollah, Houthis, milices irakiennes) pour des attaques de drones, missiles ou actions de déstabilisation, ainsi que des cyberattaques et une pression sur le détroit d’Ormuz.
  3. Renégocier, mais à ses conditions : Téhéran pourrait revenir à la table, mais exiger des garanties de sécurité et la levée totale des sanctions, tout en cherchant à gagner du temps.
  4. Consolider le régime en interne : Les frappes pourraient être instrumentalisées pour galvaniser le soutien nationaliste et étouffer la dissidence interne.
  5. Chercher de nouveaux alliés : L’Iran renforcera ses liens avec la Chine et la Russie pour la reconstruction, le contournement des sanctions, et une diversification de ses alliances.

Au-delà de l’Iran : l’ombre de la Chine

Le « Marteau de minuit » américain, loin d’avoir été le coup de Thor annonçant la fin du régime iranien, apparaît davantage comme un épisode douloureux mais non fatal dans une confrontation de longue haleine. Mais cette persistance de la « menace iranienne » doit être lue à travers le prisme d’une réorientation stratégique plus large des États-Unis.

Après des décennies d’engagement militaire massif au Moyen-Orient post-11 Septembre, Washington est en train de pivoter ses ressources et son attention vers la compétition des grandes puissances, avec un œil rivé sur la Chine. La domination chinoise croissante en Asie-Pacifique, ses ambitions militaires et technologiques, et sa compétition économique mondiale sont désormais la priorité numéro un de la politique étrangère américaine.

Dans cette optique, l’objectif ultime de Washington au Moyen-Orient pourrait ne pas être de « détruire » Téhéran à tout prix, mais plutôt de le « contenir » ou de le « neutraliser » suffisamment pour éviter qu’il ne monopolise trop de ressources et d’attention américaines. Chaque crise régionale, chaque affrontement prolongé, détourne des moyens – militaires, diplomatiques, financiers – du véritable théâtre d’opérations stratégiques que constitue l’Indo-Pacifique face à Pékin.

Le « Marteau de minuit » n’a pas été le coup de Thor ultime, car l’adversaire n’est pas un monstre à abattre d’un seul coup, mais un acteur étatique résilient. Et surtout, parce que le regard de Thor, ou du moins celui de Washington, est déjà tourné vers un défi d’une autre ampleur, de l’autre côté du globe.

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